Monday, September 20, 2010

Le Monde: Le martyre des "petites bonnes" au Liban

Le martyre des "petites bonnes" au Liban
Mis à jour le 20.09.10

"Je pensais qu'ici la police fonctionnait comme à Madagascar : quand tu as un problème, tu vas la voir. Mais, au Liban, les policiers font partie du problème", témoigne une employée de maison malgache dans un rapport de Human Rights Watch (HRW) publié jeudi 16 septembre à Beyrouth, soulignant "l'échec du système juridique libanais à protéger les domestiques étrangères".

"Indifférence des forces de police et des bureaux des procureurs", "lenteurs des procédures", "iniquité des verdicts"… En n'apportant pas de réponse appropriée aux mauvais traitements dont ces travailleuses immigrées sont victimes, "les autorités libanaises se rendent complices
de ces abus", dénonce Nadim Khoury, directeur de HRW à Beyrouth, "et contribuent à perpétuer la situation d'extrême vulnérabilité de ces femmes".

A Beyrouth, les "petites bonnes" sont visibles partout. Vêtues d'uniformes aux couleurs pastel, elles promènent le chien, traînent le Caddie, tiennent la main des enfants. Les familles libanaises aisées en emploient parfois plusieurs. Pas un appartement, dans les immeubles neufs de la capitale, n'a été conçu sans sa "chambre de bonne", une pièce souvent aveugle et exiguë. Le nombre de ces employées avoisine les 200 000 au Liban, pays d'environ 4 millions d'habitants. Originaires du Sri Lanka, des Philippines, du Népal et plus récemment du continent africain, elles forment une main-d'œuvre bon marché aux conditions précaires. Confiscation de passeport, non-paiement de salaire, travail à outrance, violences verbales et physiques… leur sort ressemble parfois à de l'esclavage moderne.

AFFAIRES DE MALTRAITANCE

Cette situation a fini par soulever l'indignation d'ONG libanaises. En août 2008, une étude de HRW s'alarmait du taux de mortalité – plus d'un mort par semaine - de ces travailleuses immigrées. Sur 95 décès entre janvier 1997 et août 1998, 40 correspondaient à des  "suicides", 24 à des "chutes d'immeubles lors de tentatives de fuite", 14 à des "morts naturelles", deux à des assassinats. La tendance n'est pas à la baisse. "Pour le mois d'août 2010, nous avons compté huit décès, des suicides pour la plupart", note M. Khoury.

Le tabou brisé, plusieurs affaires de maltraitance ont été portées devant les tribunaux. Le 9 décembre 2009, la condamnation d'une Libanaise, coupable d'avoir régulièrement battu Jonaline Malibago, sa domestique philippine, a été saluée par la presse comme un progrès en matière de protection juridique. "Mais peut-on parler de tournant quand la sentence ne dépasse pas quinze jours de prison ? s'interroge M. Khoury. Sur 114 plaintes, nous n'avons trouvé aucune condamnation pour enfermement ou confiscation de papiers – des délits selon la loi –, même quand l'employeur reconnaissait sa faute."

Les travailleuses immigrées peinent à se défendre en raison d'une carence juridique, le Code du travail libanais excluant spécifiquement tous les cas relatifs aux employés de maison. En outre, selon le système en vigueur, un domestique qui quitte son employeur – y compris pour porter plainte – se voit privé de son droit de séjour, risquant alors la détention ou l'expulsion. Les autorités sont par ailleurs récalcitrantes à enquêter dans les maisons, considérées comme des espaces privés et non comme des lieux de travail. "Il y a une certaine acceptation de la violence qui peut s'exercer à l'intérieur, regrette M. Khoury. Comme si donner deux baffes à un employé n'était pas si grave, voire nécessaire, alors même que la justice libanaise le considère partout ailleurs comme un délit."

No comments:

Post a Comment